Le poète est un écorché vif, une âme ardente de verve, de création, et de sensiblerie. Il peut être ce témoin qui nous raconte, nous explique, ou tout nous peindre à la perfection, au millimètre de détail, non sans le charme de son langage tissé pour être ce qu’il est.

Le 12 janvier 2010, un mardi, a été tout ordinaire, comme les autres jours d’ailleurs, jusqu’à l’orée de l’après-midi où tout a basculé en l’espace de quelques secondes. La Terre a tremblé à Port-au-Prince, plusieurs autres villes de provinces ont senti le choc. Et sur le vif, le poète écrivain Étienne De Saint-Exil , qui avait laissé la capitale haïtienne depuis quelques jours pour se rendre à la métropole du Nord (Cap-Haïtien) pour l’anniversaire de sa mère coïncidant à ce jour fatidique, a du laisser parler sa plume face à cette incommensurable détresse qui s’emparait de tout un pays.
Alors, en cette onzième commémoration de ce séisme dévastateur, Le Courrier de la Nation vous livre en exclusivité, un extrait de cette oeuvre poétique jusqu’ici inédite, Blessures des Murs, comme pour dire « me l’ap fè san ». Plus que jamais, nous portons nos chers disparus dans nos cœurs, et attendons que l’État les honore, non pas par des fleurs ou mémorial, mais en conjurant, par les mesures préventives nécessaires, les tortures que pourrait nous infliger un autre séisme.
Veuillez lire l’un des textes fleuves extrait de cette belle oeuvre, cet opuscule inédit, et apprécier le style et l’immense talent de l’auteur.

BLESSURES DES MURS
Ces rumeurs qui te tuent
« Savez-vous parler, et parler, sans vous taire, à la magnitude de mille gueules de chien ?» Ah ! vous êtes rumeuriste-bavard, disciple du palabre mesquin-frivole, attisant en débauche volupté le peu des moindres vagues.
Vous êtes sosie-piètre des miens : dans mon pays, les rumeurs tuent plus qu’il n’en est de morts. A tout soleil, ces savants-de-campagne, ils parlent, leurs dents s’effritent dans la voracité de dire, de mettre un i, un si, un vraiment, à tout entendu. D’inventorier des conjonctures de verre, fragilisées. C’est l’art rhétorique-dramatique du verbe, empoisonnant l’auditoire, enclavant l’écorchure entre les sens. Et mon coeur se perd, s’enlise dans ces
Caricatures-meutes
qui
t’écorchent
muette
pendue
au sexe
du temps
telle
une pucelle
maladroite
inhabile-joueuse
du
plaisir
fleuves-errants.
Le silence
te blesse
en tresses
stress-virevoltant
qui te tue
l’effigie
et
en moi
tu meurs meurs
et meurs
sous les décombres
qu’accouchent
les rumeurs
bardeaux-ivres
escaladant
les murs
de mes entendus
et
le suspens
furieux maître
fouetta
les fesses
de ma
gageure-rêve
de mon
démon
alcoolique
entêtement
qui se saoule
du
vouloir-fièvre
de te revoir
à lune
et
soleil.
Ton ombre
se déchire
elle-même
dans
l’insulte
du silence
et
saigne
en mon sein
telle
une rivière
debout
pleurante-rieuse.
Et
l’attente
me tiraille
à coups
de craintes-sangsues
qui
me baisent
les entrailles
à
chaque pas.
Dans mon illusion
têtue-bête
j’imagine
ton ombre
trouée
prise
à l’envers
entre les murs
écorchés
qui
te lèchent
ombre
d’entre les cadavres.
Tu trébuches
en moi
ton souvenir
paré
de noir
du noir
de tout cela
titube
dans
mes fantasmes.
Mais
la Terre
ne t’abhorre
point
de son
étreinte
de t’être légère
elle te guette
furieuse
et
te laisse partir.
Étienne De Saint-Exil©️Copyright 2010
L’auteur a dédié ce texte à Rose Claudette ÉTIENNE qu’il croyait morte dans le drame. Elle s’était rendue à Port-au-Prince pour ses études.
Annie FRANÇOIS