Le kidnappeur kidnappé

Jean André Victor, 12 / 5 / 21

Il était une fois un pays étrange, voire un étrange pays, situé au point de rencontre des univers parallèles de notre multivers. A Tihati, les dirigeants organisent souvent des référendums pour savoir s’il est plus payant d’assassiner en plein jour ou en pleine nuit. Dans la capitale de Tihati, l’homme noir était, jadis, un meuble bon marché pour le Blanc tandis qu’aujourd’hui, il est devenu une marchandise haut de gamme pour son semblable. Le sport national de Tihati est le kidnapping. La Fédération Nationale de Kidnapping désigne les kidnappeurs et les kidnappés respectivement comme arbitres et athlètes d’occasion. Tous les jours que Dieu fait, la kidnapauté s’amuse aux dépens des victimes innocentes.

Credit Photo: haititimes.net

Un arbitre du nom de Mèsidieu avait juré de mourir riche plutôt que de vivre pauvre. Il avait rédigé une espèce de testament holographe qu’il cachait dans un lieu perdu de son galetas poussiéreux. Pour dicter ses dernières volontés, il écrivit des lignes de sang sur un papier tout blanc : au cas où je serais kidnappé, ne payez surtout pas de rançon pour me faire libérer ; n’ayez aucune honte pour jouir du patrimoine que je vous ai laissé. J’ai fait nommer des Ministres de Justice parmi les malades qui nous gouvernent. Il m’arrive même de créer un système de trêve afin de permettre aux honnêtes gens de voter par voie référendaire.

 Seulement, Mèsidieu ignorait que tout secret bien gardé n’est jamais écrit, si ce n’est en langage codé. Sa femme trouva la missive secrète, l’ouvrit gracieusement, en prit connaissance dans la précipitation, la relit à nouveau et referma la mystérieuse enveloppe qu’elle replaça là où elle l’avait trouvée. Un soir, elle avait reconnu une des chrétiennes de la légion de Marie parmi les prisonnières de son mari. L’une a fait semblant de ne pas voir l’autre, sachant qu’en cette matière, la victime risque toujours de mourir si elle reconnait son bourreau.

Son mari qui ne se doutait de rien fit exécuter la chrétienne qui était la fille du Ministre de la Justice. Mèsidieu prenait de plus en plus de risques pour amasser de plus en plus de fric. Un soir, il n’est pas rentré à la maison, le lendemain, il ne donnait toujours pas signe de vie et le surlendemain, sa femme crut voir des badauds promener sa tête au bout d’une pique. C’en était trop. Le jour d’après le surlendemain, Mme Mèsidieu est morte d’une crise cardiaque. Le quartier tout entier accourait dans la caverne d’Ali Baba. Les pleureuses emportèrent quelques bijoux qui trainaient çà et là. Les bandits tiraient sur tout ce qui bouge dans l’espoir de toucher le Général Lanmò. Certains brigands devisaient sur la fragilité des choses humaines.

A l’autre bout de la ville, une américaine en mission, sur le point d’être kidnappée, dégaina et fit feu sur Mésidieu. Atteint de trois balles à bout portant, le bandit s’écroula et ses deux lieutenants prirent illico la poudre d’escampette. Un passant avisé demanda 50 000 dollars à Mèsidieu pour le transporter à l’hôpital. L’ayant reconnu tandis qu’il baignait dans son sang, une marchande de manje kwit lui cracha au visage en proférant des injures.

Quand il apprit la nouvelle de la mort de sa dulcinée, Mèsidieu se tira une balle de plomb dans la tête et s’en alla rejoindre sa femme dans l’au-delà. Une information écrite a perdu la femme ; une information orale a emporté le mari. Justice divine, Wanga Malfektè, Lajan Chango, Madichon Marasa ? Qui sait ! Le Général Lanmò n’épargne ni kidnappeurs ni kidnappés. Il ne réclame ni bitcoin ni bitkob. Il passe et l’homme trépasse. Dans les univers parallèles du physicien Andrei Sakharov, le mot « référendum » n’existe que dans l’officine du diable. Un jour sans kidnapping permettra-t-il de kidnapper les kidnappeurs ? Référendum, où est ta victoire ?