La guerre permanente entre la République d’Haïti (RH) et la République Dominicaine (RD) : 2. a) La guerre de l’eau (la question juridique)

Vu le conflit naissant qui oppose actuellement la RH et la RD au sujet de l’exploitation des eaux de la rivière Massacre par les deux parties, il est opportun de présenter les fondamentaux de la guerre de l’eau afin que nul ne l’ignore, tant du côté haïtien que de celui des dominicains. Les citoyens de ces deux pays doivent savoir qu’ils sont le jouet de politiciens véreux qui les manipulent à des fins électoralistes. A la vérité, la guerre de l’eau RH / RD pose, à la fois, des questions particulières sur le plan juridique, politique et géopolitique, lesquelles sont interconnectées et interdépendantes.

Crédit Photo: radiotelevision2000.com
La guerre permanente entre la République d’Haïti (RH) et la République Dominicaine (RD) : 2. a) La guerre de l’eau (la question juridique)

Le présent texte soulève exclusivement la question juridique et répond aux quatre questions suivantes. La guerre de l’eau RH/RD était-elle prévisible ? De quels cours d’eau internationaux s’agit-il ? Les risques d’une guerre de l’eau sont-ils élevés ? Quelle est la loi applicable en la matière ?

Avant l’arrivée de Colomb en 1492, les Taïnos recherchaient déjà une répartition « équitable et juste » des ressources en eau entre les cinq caciquats. Les Espagnols et les Français étaient sensibles à la logique de gouvernance des Taïnos, sans oser la mettre en pratique et se sont contentés de signer des traités généraux pour le partage des terres émergées de l’île d’Haïti. J’ai soulevé le problème relatif à la guerre de l’eau, lors du colloque international sur la gestion intégrée de l’eau, à l’Université Quisqueya en 2002 et lors du Sommet de l’eau de l’Université d’Etat d’Haïti en 2017 (Voir les Actes des dits Colloques). Le rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) et du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) de 2013, intitulé « Haïti- République Dominicaine. Défis et instabilité dans la zone frontalière » a mentionné, entre autres, que sur la rivière Massacre, les Dominicains ont quatre points d’extraction d’eau alors que les Haïtiens n’en ont aucun. Ledit rapport a été soumis respectivement au Gouvernement de la RH et de la RD.

Le réseau des cours d’eau internationaux comprend essentiellement la rivière Massacre (ou Dajabon), la rivière Artibonite et ses nombreux affluents, la rivière Soliette (ou Arroyo Blanco) et la rivière des Pédernales. Un cours d’eau international se définit comme celui qui a une partie dans un pays et une autre partie dans un autre pays. Dans le cas de la RH et de la RD, les plus grands cours d’eau internationaux servent également de ligne-frontière et que certains affluents sont eux-mêmes des cours d’eau internationaux. En outre, les bassins hydrographiques de certains cours d’eau jouissent du statut réservé aux aires protégées. Dans certains cas, c’est la RH qui est le pays d’amont et dans d’autres, c’est la RD. Dans tous les cas, les populations concernées ne sont pas informées de la problématique des ressources en eau partagées, de la complexité de leur régime juridique et des méthodes à utiliser pour éviter et/ou résoudre les problèmes relatifs à la gestion et à la conservation de ces ressources. Ce qui se passe actuellement avec la gestion des eaux de la rivière Massacre n’est que la partie émergée de l’iceberg des ressources en eau partagées.

Les risques de guerre sont élevés en raison de la répartition inégale des terres émergées selon la configuration géographique des deux pays et l’histoire tumultueuse des deux peuples. Ils sont élevés parce que l’offre des ressources en eau diminue alors que la demande augmente (plus de 20 millions d’habitants sur l’île aujourd’hui), parce que de nouveaux besoins apparaissent notamment dans les secteurs de l’énergie et du tourisme et parce que le tracé de la ligne-frontière se retrouve à 40 % dans le lit des rivières qui divaguent lorsqu’elles sont en crue. Le déséquilibre observé dans la puissance économique et militaire des deux Etats n’arrange pas, non plus, les choses. Le caractère obsolète du droit lacustre et fluvial, droit bilatéral figé depuis les accords de 1929, constitue, en outre, un obstacle majeur à tout règlement pacifique d’éventuels différends dans un contexte de réchauffement climatique dont l’impact négatif va se faire sentir notamment au niveau des populations les plus vulnérables.

La loi applicable est représentée, au niveau national, par le droit de l’eau dans les deux pays, au niveau bilatéral par le Traité de Frontière du 21 janvier 1929, le Traité d’Amitié, de Paix Perpétuelle et d’Arbitrage du 20 février 1929, l’Accord de frontière du 7 février 1935, le Protocole additionnel au traité du 21 janvier 1929 et l’Accord de 1978 pour le barrage répartiteur des Pédernales, et enfin, au niveau global par les conventions régionales et autres instruments universels d’intérêt, ratifiés par les deux Etats souverains. Le fait que la RH et RD n’aient pas ratifié la Convention de New York de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation ne facilite point le recours aux solutions juridiques pour le règlement des différends. Or, la susdite convention a le mérite de fournir une définition juridique d’un cours d’eau international et de préciser la signification de certaines expressions courantes du genre « utilisation équitable et juste ou encore « partage égal ». Donc, il est indiqué de questionner la politique juridique de la RH et de la RD en la matière.

 Lorsque le massacre des Haïtiens a été perpétré en 1937, le Président Trujillo avait violé délibérément l’Accord du 20 février 1929 et s’en est tiré à bon compte. Depuis, la RD n’a pas cessé de violer les accords de 1929 en faisant des prélèvements et des aménagements non contrôlés sur les rivières Massacre et Artibonite, sans se heurter à une opposition quelconque venant de la RH. Aujourd’hui, la RD se pose en victime innocente. L’attaque n’est-elle pas la meilleure façon de se défendre, en situation de guerre ? Ce qui est en cause, ces jours-ci, c’est l’eau de la rivière Massacre dont le nom rappelle étrangement les événements de 1937. Que nous réserve le futur ? Le mur du Président Abinader ou la Cyber-armée haïtienne ? Dit autrement, seule une gestion intégrée des ressources en eau partagées pourrait enseigner la guerre permanente (le concept) afin d’éviter la permanence de la guerre (le fait) afin que les frères ennemis puissent prospérer et vivre en paix dans l’esprit du Traité du 20 février 1929.

Jean André VICTOR, le 21 /6/ 21


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