Qui a assassiné l’ex-président Jovenel Moïse? 6. La théorie des trois dilemmes

Beaucoup de gens connaissent bien ou ont entendu parler souvent du rêve américain, mais très peu sont familiers du dilemme américain. En 1944, Karl Gunnar Myrdal (1898 – 1987), un économiste et sociologue suédois, Prix Nobel des sciences économiques, a publié un livre qui a défié l’espace et le temps, « An American Dilemma. The Negro problem and modern democracy » dans lequel Myrdal s’est posé la question suivante: Comment un peuple qui chérit la liberté et la justice, comme les Etats Unis d’Amérique, peut-il créer une société fondée sur l’oppression raciale ? Le dilemme américain réside dans le fait de proclamer que tous les hommes sont égaux et de refuser l’égalité à certains d’entre eux. Ce dilemme demeure, jusqu’à nos jours, le talon d’Achille de la République Etoilée (RE). Myrdal pensait que dans l’intérêt même de la nation, la RE doit mettre fin à une violation aussi flagrante de sa Constitution.

Qui a assassiné l’ex-président Jovenel Moïse? 6. La théorie des trois dilemmes

Le dilemme haïtien réside dans le fait que la République d’Haïti (RH) refuse à ses ressortissants la liberté et la dignité qu’elle exige de la communauté internationale, en tant que membre de cette dernière. Comment le peuple haïtien qui, le premier, a aboli l’esclavage au 19ème siècle, en donnant naissance à une terre de liberté en 1804, peut-il créer une société fondée sur l’inégalité et l’exclusion sociales ? Tant que la RH continue de produire des paysans sans terre et sans emplois, des domestiques sans abris et sans sécurité sociale et des zombies sans identité ni état civil, la terre de liberté qu’elle prétend être ne sera point la terre promise qu’elle souhaiterait devenir. Haïti est une étoile, son biocarburant, c’est la liberté.

Contrairement aux autres pays de l’Amérique, la République Dominicaine n’a pas eu son indépendance d’une puissance européenne, mais de la République d’Haïti, le premier Etat libre de l’Amérique moderne. Comment un Etat, comme la RD, qui a obtenu son indépendance de la RH, peut-il choisir de forger son identité nationale en reniant ses origines haïtiennes ? Le dilemme dominicain vient du fait que ce peuple,
épris de liberté et de justice comme tout autre peuple, a décidé d’honorer l’Espagne, la puissance esclavagiste et de vilipender Haïti, la puissance libératrice. Dit autrement, tant que les fils de Duarte préfèrent Hispaniola au nom indien d’Ayiti (d’Haïti), Santo Domingo ne pourra produire que du sucre amer et du tourisme inéquitable. Etre haïtianophobe n’est pas une option historique.

Les trois dilemmes interconnectés, inter-reliés et interdépendants ont créé une situation d’inconfort historique dans les trois modèles de liberté accouchés au forceps dans les trois républiques susmentionnées. Le modèle d’indépendance des EUA symbolise la continuité de l’ordre colonial, du fait que ce sont les colons qui se sont détachés de leur métropole en maintenant l’institution de l’esclavage. Ce modèle a été adopté ultérieurement par tous les pays de l’Amérique Latine au moment de leur indépendance respective. Le modèle haïtien est en rupture totale avec l’ordre colonial puisqu’il rejette la métropole, l’esclavage et la discrimination raciale. Aucun autre pays du continent ne l’avait adopté. Le modèle dominicain de l’indépendance est aussi unique parce que la RD est le seul pays qui a eu son indépendance par scission de l’Etat libre d’Haïti, sans être obligée de libérer des esclaves. Dit autrement, la RE, la RH et la RD constituent les sommets du triangle de l’exploitation de l’homme par l’homme en Amérique où le problème racial reste toujours une épine aux pieds du continent.

On répète souvent, sur un ton moqueur et dédaigneux, que la RH est un coin perdu de l’Afrique en Amérique. Pourquoi pas ! La vocation historique d’Haïti est d’assumer son africanité, non pas en se faisant le chantre de la négritude, comme cela a été le cas dans le passé à un moment où il fallait proclamer que Black is beautiful, mais en se lançant, aujourd’hui, dans la course à l’Intelligence Artificielle, comme un membre à part entière de l’Union Africaine et un poste avancé de l’égalité des races humaines sur les rivages de la RE. Il est effarant de constater que le swahili et le wolof ne sont pas enseignés à l’Ecole Haïtienne qui, pour le moment, n’est ni européenne ni américaine ni haïtienne. Il est temps pour la RH de se poser en leader de la créolophonie, non pour s’opposer à la francophonie, mais pour revendiquer son haïtianité au bénéfice de l’homme noir en particulier et de l’homme universel en général. Si le commerce triangulaire du bois d’ébène a engendré la pauvreté en Afrique, la richesse en Europe et l’esclavage en Amérique, la rencontre des trois mondes a produit, par contre, une terre sacrée, la RH, symbole du créole, du vodou et de l’égalité des races humaines. Oser l’haïtiano-centrisme pour faire revivre l’Afrique universelle, telle est la mission des fils du Soleil. Etre Haïtien, c’est cela avant tout.

Jean André VICTOR, 8 / 08 /21


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