En 2019, le salaire vital pour les travailleurs du secteur textile était estimé à 1 750 gourdes par jour

À l’occasion de la journée internationale des travailleurs, le 1er mai, les ouvriers du secteur textile ont annoncé la reprise de leur mobilisation. Ils entendent continuer à exiger, entre autres, 1 500 gourdes comme salaire minimum. En février 2022, le gouvernement avait fixé leur salaire journalier minimal à 685 gourdes soit environ 40% de l’estimation du salaire vital de 2019.

Crédit Photo: Haiti Progrès
En 2019, le salaire vital pour les travailleurs du secteur textile était estimé à 1 750 gourdes par jour

23 février 2022, sous un soleil de plomb, des ouvriers du secteur textile foulaient le macadam pour exiger 1 500 gourdes en lieu et place des 685 gourdes fixées comme salaire minimum par le gouvernement quand des hommes encagoulés ouvrirent le feu sur eux. Bilan :au moins 15 victimes dont un journaliste mort sur place et deux autres blessés par balles. Durant cette journée de mobilisation, les ouvriers ont aussi essuyé les tirs d’individus arborant des uniformes de la Police Nationale d’Haïti (PNH) qui se sont évertués à casser leur mouvement. Depuis, ils se sont tus. Plus pour longtemps !

Après un long silence, les ouvriers entendent reprendre leur mouvement de revendication dans les rues. En conférence de presse, le 21 avril dernier, des syndicalistes du secteur textile dont Thélémaque Pierre, accompagnés de Junior Dérose de l’Association syndicale des agents de sécurité, ont annoncé la reprise de la mobilisation de la classe ouvrière les 1er et 2 mai 2022. Les responsables d’organisations syndicales des industries du secteur textile ont martelé qu’ils comptent continuer à réclamer 1 500 gourdes comme salaire minimum journalier. Somme qui se trouve dans la fourchette de 900 à 1 700 gourdes nécessaires comme salaire minimum selon divers économistes. Toutefois, force est de constater qu’elle est inférieure à l’estimation du salaire vital journalier pour les travailleurs du secteur textile à Port-au-Prince réalisée en avril 2019 par l’équipe du Centre de Solidarité en Haïti.

Le salaire vital, aussi appelé salaire décent, n’est défini formellement par aucune convention internationale. Toutefois, ce montant payé en échange d’un travail est évalué sur la base de la durée légale du travail, sans compter les heures supplémentaires ou les primes. D’après le Collectif Ethique sur l’Etiquette, il fait référence à la somme devant permettre « la satisfaction des besoins fondamentaux du travailleur et de sa famille : loyer, énergie, alimentation, eau potable, habillement, santé, protection sociale, éducation, transports, épargne». Le Centre de Solidarité (Solidarity Center), allié à l’AFL-CIO, se présente comme « la plus grande organisation internationale de défense des droits des travailleurs basée aux États-Unis qui aide les travailleurs à obtenir des lieux de travail sûrs et sains, des salaires familiaux, la dignité au travail, une démocratie généralisée et une plus grande équité au travail et dans leur communauté ». L’équipe du Centre de Solidarité en Haïti, a évalué le salaire vital en 2011, 2014 et plus récemment en 2019. Selon les résultats de l’enquête menée à l’époque, les travailleurs doivent gagner au moins 1 750 par jour pour subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles.

Comme méthodologie de l’enquête, le Centre de Solidarité a opté pour une approche mixte pour estimer le coût de vie des ouvriers du secteur textile à Port-au-Prince, Haïti. De septembre 2018 à mars 2019, les collecteurs de données ont examiné les prix des produits et services pour « un panier de marchandise » adapté aux conditions locales. Les collecteurs ont cherché cinq cotations de prix pour chaque dépense, directement des vendeurs et fournisseurs de service.  Ensuite, le Centre de Solidarité a triangulé les données par le biais de deux discussions de focus groupe avec seize ouvriers du secteur textile.

Le « panier de marchandise » a pris en considération une gamme de produits et de services couvrant comme catégories de dépenses : logement (la location d’une modeste maison de deux chambres avec cuisine, un petit salon  et une toilette. Des meubles et petits appareils y sont aussi inclus) ; énergie (coût du charbon de bois) ; nutrition   (aliments achetés sur les places de marchés locales, lunch des travailleurs) ; habillement/vêtements (trois ensembles complets et deux paires de souliers par année) ; soins de santé (visites chez le médecin, tests de laboratoire, lunettes, médicaments sur ordonnance et médicaments en vente libre, grossesse et accouchement) ; éducation (frais de l’éducation dans une écoles privée de deux enfants, un en primaire et un en secondaire, uniformes, livres, transport) ; transport (trajets aller-retour pour se rendre au travail, aux lieux de marchés et le trajet aller-retour en bus pour un adulte et deux enfants qui rendent visite à la famille dans les communes avoisinantes, sur une base annuelle) ; communication (coût d’un téléphone mobile et un plan de base « voix et données ») et  épargne et dépenses discrétionnaires ( fonds réservés aux urgences et dépenses importantes, pratique de foi, études universitaires et loisirs). Selon les résultats de l’enquête, le Centre de Solidarité a estimé que le coût de base de la vie pour un travailleur du secteur textile à Port-au-Prince est de 45 517 gourdes par mois. Sur la base de la semaine de travail normale de 48 heures, les travailleurs doivent donc gagner 1 750 gourdes par jour.

Lors du focus groupe, les ouvriers ont  déclaré qu’ils ne pouvaient pas se permettre des soins dentaires ni des lunettes.

Une Estimation du Salaire Vital pour les Travailleurs du secteur Textile à Port-au-Prince, Centre de solidarité, Avril 2019

Incapables de sélectionner leurs représentants au niveau du Conseil Supérieur tripartite sur les Salaires, les ouvriers vivent quotidiennement la violation de leurs droits et  leur bas salaire ne leur permet pas de joindre les deux bouts. Le passage de l’inflation de 20,30 %  en octobre et novembre 2019 à 24,6 en novembre 2021 selon les estimations de la Banque de la République d’Haïti (BRH) n’aide pas à l’amélioration de la situation. Les ouvriers continuent à réclamer 1 500 gourdes comme salaire minimal journalier, alors qu’au regard de la dévaluation de la gourde et la cherté de la vie, certains observateurs estiment que cette somme ne leur permettra pas de reproduire leur force de travail.

Stevens JEAN FRANÇOIS


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