Que nous réserve l’avenir du Conseil Présidentiel

L’accord politique du 3 Avril 2024 ayant conduit à la création du Conseil Présidentiel est loin d’être la proposition politique adaptée à la crise multidimensionnelle que connaît le pays. Il porte dans sa substance même, toutes les caractéristiques de son éventuelle dissolution ― sauf élan patriotique des parties prenantes ― car l’analogie des contraires sur laquelle il se fonde et qui se veut être son point d’ancrage, est en fait un leurre.

Crédit Photo: L'Express
Que nous réserve l’avenir du Conseil Présidentiel

Nombreux sont ceux qui se sont embarqués dans ce projet sans même vraiment y croire. Ils sont, pour la plupart partagés, entre ce qu’il croit être la réponse immédiate à un problème urgent, et ce qui se veut être une démarche politique pressante. Situation pour le moins complexe qui nous entraîne d’emblée dans le schéma classique de ce qu’on pourrait appeler, non sans hyperbole: le dilemme du Conseiller-Président. 

 

Mais à quoi doit-on réellement ce dilemme?

 

À mon sens, deux séries de facteurs suffisent à l’expliquer. Premièrement, il y a la mauvaise foi, la perversion narcissique et l’indifférence des acteurs locaux. Deuxièmement, l’implication directe des acteurs internationaux à tous les niveaux de la crise, et l’environnement politique crée par l’expulsion subite du Premier Ministre Ariel Henry du pouvoir. 

Cette dernière quant à elle, est subdivisée en deux simples facteurs: D’une part, il y a l’état des faits : différents acteurs de la vie nationale ont été contraints de trouver une formule pour diriger d’un commun accord le pouvoir.

D’autre part, il y a l’état de la situation des faits: le document signé par les protagonistes, et qui a abouti à la formation du Conseil, est, dans une démarche pragmatico-politique, plus un rempart vers la prise du pouvoir qu’une réponse réelle à la crise multidimensionnelle que traverse le pays. 

 

Ces différents facteurs d’explications nous ont amené à comprendre que les acteurs sont totalement dépassés par les événements. Ce qui voudrait dire qu’ils seraient arrivés à un moment de la crise où même la plus noble de leurs volontés deviendrait une démarche stérile. Quand on arrive à un tel niveau de déchéance, la stratégie fait place, ipso facto, à la manipulation; et la rationalité à l’improvisation. En conséquence toutes les possibilités d’un dénouement heureux s’estompent. Les issues se restreignent à la simple volonté d’un groupe d’acteurs dont les intérêts personnels semblent primer sur l’enjeu national. 

 

En d’autres termes, tout se joue sur l’éventualité d’un espace de leadership à prendre où chacun s’y aventure avec l’idée d’être le prochain Président de la République. Tout le processus semble malheureusement se résumer à ce faible point. Cela explique du reste, la raison pour laquelle l’accord a finalement été trouvé quoiqu’il n’y ait jamais eu d’entente réelle sur les termes. 

 

Vous conviendrez alors que cette déclaration commune d’intention ayant conduit à ce document d’accord ne définit pas une alliance politique prometteuse, comme veulent le faire croire certains. Mais, le schéma historique d’une réelle contradiction sociale où les protagonistes semblent se rassembler rien pour essayer de construire, chacun de son côté, le capital politique nécessaire lui permettant d’avoir une longueur d’avance sur les autres.

 

Alors, vu qu’en pareille circonstance, chacun se croit être le malin le plus méritant du lot; le résultat conduit presque toujours à la dissolution de ce que chacun croyait être le plus à même de diriger. C’est un schéma pour le moins classique en situation de crise politique, notamment en Haïti. Les cas de figures y relatifs en sont d’ailleurs nombreux. On pourrait en énumérer plusieurs. Mais pour des raisons d’ordre méthodique, on ne s’en tiendra qu’à celui qui nous parait le plus pertinent: le G8 et l’annulation des élections de 2015.

 

En effet, accusant de fraude massive les résultats ayant consacré, dès le premier tour, Jovenel Moise Président de la République, un groupe de huit candidats, représentant 49.8% des votes, ont réussi, d’un commun accord à faire annuler les élections. La communauté internationale s’en mordait les doigts. Personne ne voyait arriver un tel coup. Les partis de l’opposition ruminaient la sève d’une alliance qualifiée d’historique. Les nouveaux alliés quant à eux, s’en donnaient à cœur joie aux jeux médiatiques. Les conférences de presses et les engagements de solidarité tenaient lieu d’une campagne de vivre-ensemble qui résonnait mieux que toutes leurs myriades de discours épars. 

 

Ainsi, captivée par la force que représentait cette union, une bonne partie de la population, fatiguée de la gestion du régime d’alors, ont choisi de miser tout sur cette coalition. Leur calcul paraissait simple: huit est partout supérieur à Un (8> 1). Mais c’était sans prendre en considération l’arithmétique politique, où seule la division est comprise et acceptée.

 

Malheureusement, cette théorie a été mise à l’épreuve des faits. À l’annonce des nouvelles joutes électorales, le G8 s’est divisé en huit (8) G1, préférant ainsi perdre chacun, ce qu’ils auraient pu gagner ensemble.

 

Sans grande surprise, la même chose a failli se produire au sein du Conseil Présidentiel, pourtant composé en grande partie d’alliés de l’opposition; ceux-là même qui alliaient leurs forces en vue d’obtenir la démission du Dr Ariel Henry. Ils sont passés à deux doigts de perdre les élections au profit du représentant officiel de l’accord politique qui avait légitimé le deuxième mandat de l’ex Premier Ministre. De quoi se conforter dans l’idée que l’opposition dans le contexte politique haïtien, n’est jamais l’émanation réelle d’une volonté républicaine, mais plutôt la démonstration civile d’un pouvoir avant le POUVOIR. C’est-à-dire qu’elle est l’expression du tissu de contradiction permanente caractérisant ce modèle de société qu’elle veut, a contrario changer. Comme quoi, elle serait essentiellement ce qu’elle croit vouloir combattre. 

 

Et c’est là tout le drame du Conseil Présidentiel. L’ennemi est quelque part dans les murs du palais. L’évidence est si flagrante, qu’il n’y a même pas lieu de s’y attarder. Il suffit simplement de prendre en considération l’origine des différents groupes, leurs intérêts et les motifs qui les animent. On verra qu’il n’y a que des adversaires irréconciliables, gardant pour certains les séquelles d’un coup d’Etat sanglant, et pour d’autres le souvenir amer d’une opposition qui leur a privé du projet de la célébration nationale du bicentenaire de l’indépendance.

 

À la lumière de tous ces éléments, une seule conclusion s’impose: le Conseil Présidentiel nous réserve de très grandes surprises. Au mieux, les conseillers s’adonneront juste à une guerre de chapelle et se passeront de quelques clauses de l’accord, mais parviendront, pour le bien de la République à s’organiser pour la réalisation des élections. Au pire, ils se conformeront au “principe des tiroirs” déjà adopté, et passeront leur temps à jouer à la chaise musicale jusqu’à ce que chacun ait la chance d’être à son tour reçu Président. 

 

 

Kervens CHERUBIN

Économiste. Citoyen engagé.

kervenscherubin@gmail.com


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