Haïti : les relations amoureuses sont à la merci des gangs

Séparés à cause de l’insécurité, deux amoureux tentent de maintenir leur relation. Lors de leur courte conversation à l’occasion de la Saint Valentin, ils n’ont pas eu le temps de se déclarer, une fois de plus, leur flamme. La lutte pour la survie a pris le dessus sur tout, même leurs sentiments.

Crédit Photo: Rezo Nòdwès
Haïti : les relations amoureuses sont à la merci des gangs

Le 13 février 2024, des bandits ont fait parler la poudre dans les parages du pénitencier national. Bilan, au moins 4 personnes ont été blessées par balle. Une journée normale dans la Capitale haïtienne, diraient certains. Pourtant, cette énième scène de violence dans une zone située à quelques enjambées du Palais National est l’épreuve de trop pour d’autres. Jacques*, jeune homme frisant la trentaine fait partie de cette seconde catégorie.

 

Depuis un an, il est revenu vivre au Cap-Haitien, sa ville natale. Il fuyait l’insécurité à Port-au-Prince. Il a tourné dos à la capitale haïtienne mais a encore des attaches. Outre des amis et d’anciens collègues de travail, il y a laissé, malgré lui, son cœur. « Je n’en doute pas ! Elle est la femme de ma vie ! » nous a-t-il confié. Amoureux fou de cette fille qu’il a rencontré et certain que le sentiment était réciproque, il avait projeté de se marier avec elle. « Sincèrement, je ne m’y attendais pas. Une fille que je fréquentais m’avait plaqué pour un autre gars. J’avais du mal à accepter la rupture. Mes amis mon forcé la main pour que je les accompagne à une fête. Et c’est là que je l’ai vue. Dès que mes yeux sont tombés sur elle, j’ai oublié mes soucis et déceptions amoureuses. Je l’ai approchée et elle n’a même pas voulu me parler. Ce jour-là, je n’ai pas pu savoir son nom, pourtant j’étais certain qu’elle était la bonne » nous a indiqué l’air pensif le jeune homme svelte.

 

« J’ai découvert mes talents de détective pour la retrouver ! J’ai dû mener une enquête scrupuleuse pour retrouver ses traces. Mes amis ne la connaissaient pas. Elle ne figurait pas non plus parmi les personnes invitées. Ça m’a pris un temps fou pour découvrir qu’elle était venue en compagnie de sa cousine. En repensant à cette histoire, je me dis parfois que j’aurais dû être policier » poursuit-il en s’esclaffant de rire. Retrouver la trace de la fille était plus difficile que toute autre chose, elle ne voulait pas lui parler. Elle le trouvait d’ailleurs trop entreprenant. Il a dû prendre son mal en patience pour enfin obtenir un oui pour un premier rendez-vous. Il y eut d’autres, beaucoup d’autres.

 

« Puis, un mardi, on s’est retrouvé après le travail et Magalie*, c’est ainsi qu’elle s’appelle, m’a dit qu’elle me laissait la chance de la convaincre que mes sentiments étaient authentiques. Il ne m’en fallait pas plus. Sa première relation et ses deux enfants ne me dérangeaient pas et je pensais sérieusement à me caser » relate l’ancien étudiant de l’Université d’État d’Haïti. Les amoureux se la coulaient douce jusqu’à ce que la réalité les rattrape. « D’abord, il y a eu l’épisode avec Tije. J’ai donc laissé Carrefour Feuilles pour aller vivre chez un proche à Pétion-Ville. C’est à cette même époque que j’ai perdu mon travail. Ne pouvant plus supporter de vivre en Haïti, après être sorti indemne d’une tentative de kidnapping, le propriétaire de l’entreprise a fermé boutique et laissé le pays. Il devint de plus en plus difficile pour nous de nous voir. Mes maigres économie partirent en fumée et je n’ai pas pu trouver d’autre emploi » a-t-il poursuivi.

 

Incapable de renouer avec le monde du travail et de contribuer au paiement du loyer, face à la dégradation du climat sécuritaire, sous l’insistance de ses parents Jacques est retourné vivre à Cap-Haitien. « Au moins à Cap-Haitien j’ai trouvé un plat chaud chaque jour. Je n’ai toujours pas trouvé de travail malgré le nombre élevé de CV que j’ai envoyé. Magalie est restée à Port-au-Prince. Je ne pouvais pas l’emmener et prendre ses enfants à charge. On s’était dit qu’ils viendront me rejoindre dès que j’aurai trouvé du travail. Ce n’est toujours pas possible alors que les conditions se sont détériorées là où elle vivait » a fait savoir Jacques. Ce 13 février, il a senti que son monde s’écroulait.

 

Jacques a appris via les réseaux sociaux que des malfrats avaient attaqué le pénitencier national. Il a tout de suite eu des sueurs froides. « Quand j’ai lu la nouvelle sur un groupe WhatsApp, j’ai tout de suite appelé Magalie. Je n’ai pas pu me calmer vu qu’elle vit dans la zone. Je n’ai pas pu la joindre, ni personne de son entourage d’ailleurs. Je n’ai eu ses nouvelles que le lendemain vers 9 heures du soir » nous-a-t-il révélé, la voix empreinte de tristesse. « Ce qui me tue c’est que ce jour-là, je n’ai même pas pensé à lui souhaiter une joyeuse fête de la Saint-Valentin ni lui rappeler combien je l’aime. On s’est juste parlé pendant moins de 30 minutes. Il y avait une panne de courant dans la zone, elle devait préserver sa batterie. Elle a pris le temps de m’indiquer combien la situation s’était détériorée dans la zone où les bandits viennent réclamer de l’argent quand le blindé de la PNH n’est pas là. Elle m’a envoyé un message vocal pour me faire entendre les échanges de tirs. Ensuite elle m’a indiqué qu’elle et ses enfants vont aller se coucher avec leurs habits et chaussés au cas où il faudra laisser la zone en vitesse. Comme dernier message elle m’a dit qu’on se parlerait demain si les bandits ne la tuent pas » a poursuivi d’un trait le jeune homme avant d’éclater en sanglot et de nous montrer le message de sa bien-aimée.

 

Avec sa permission nous avons survolé les échanges entre les amoureux. Non sans effroi nous avons remarqué qu’avec la dégradation du climat sécuritaire dans la zone, les conversations entre les amoureux ont changé de ton. Des rappels à la prudence, l’amertume, la colère, l’inquiétude ont remplacé les messages d’amour. Les conversations riches et animées ont disparu. Les deux âmes pleines de vie et d’espoir ne sont plus.

 

Jacques et Magalie vivent le martyre. Ils ne sont coupables que de s’aimer pourtant. Certains diraient qu’ils sont chanceux, ils ont la vie sauve. Mais vivent-ils ? Jusqu’à quand pourront-ils supporter leur impuissance à faire face à leur malheur ! Encore des vies gâchées. Sa se fòt Leta !

 

*Sur demande des concernés, des prénoms d’emprunt ont été utilisés.

 

Jodel ALCIDOR


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